
Style : Mütterlein
Label : Debemur Morti Productions
Localisation : France
Sortie : 9 mai 2025
Depuis 2014, Mütterlein est de ces formations qui, au sein des musiques sombres, suit sa propre voie. Son premier album en 2016 empruntait les chemins d’un mélange de doom et de post punk habité par la voix rauque de son auteure Marion Leclercq. Bien loin des clichés inhérents à la scène extrême, Mütterlein affirmait déjà sa singularité par une musique profonde ou coexistaient froideur et fulgurances émotionnelles. La suite allait confirmer qu’avec Mütterlein on était en face d’une entité qui dépassait très largement le cadre habituel que ce soit avec le très beau split sorti avec Limbes (Les Acteurs de l’Ombre Productions, 2020) et plus encore avec l'album «Bring Down The Flags » paru l’année suivante chez Debemur Morti.
Depuis ces quelques années Mütterlein a aussi arpenté bien des scènes où elle s’est affirmée comme une des formations des plus fascinantes avec son décorum sombre et cérémoniel qui confine avec une expérience sonore et visuelle qui réveille les émotions les plus enfouies de chacun et chacune.
Dernièrement on avait recroisé l’artiste en compagnie de Dehn Sora (Treha Sektori, Throane) et Vindsval (Blut aus Nord) pour le projet Eitrin paru à l’occasion des vingt ans du label Debemur Morti Productions. Plus métallique, l’univers de cet album n’en était pas moins prenant et une fois encore la voix de Marion Leclercq distillait ses paroles, comme ces poisons évoqués dans chacun des titres.
Tout cela passé, le temps était venu pour Mütterlein de reprendre sa propre voie, ce qui est désormais fait avec ce nouvel album intitulé « Amidst the Flames, May Our Organs Resound ». Une fois de plus Dehn Sora en a réalisé l’artwork représentant un parterre de bougies devant un immense orgue. Les pistes d’interprétations peuvent être diverses mais on ne manquera pas de relever la résonance de cette illustration avec le titre (au milieu des flammes, que nos organes résonnent) et cette ambivalence du feu à la fois destructeur et purificateur.
Musicalement, l’essentiel de l’album privilégie des sonorités industrielles et électroniques où la froideur domine et crée des effets hypnotiques ou d’écrasement. Les guitares ne sont pas absentes mais si elles sont clairement en retrait, elle ne donnent pas moins des allures fantomatiques et lancinantes à la musique qui se déploie au cours des sept compositions. Dans sa globalité l’instrumentation qui, par bien des égards, a aussi une dimension cinématographique se fait le reflet sonore d’un monde moderne froid et chaotique. Le chant très organique renvoie plutôt à une forme d’archaïsme et de catharsis primordiale. Il vous traverse de part en part tout en se faisant parfois plus éthérée sur certains passages.
Thématiquement, qui de mieux que son auteure pour en parler, je cite : « « Amidst the Flames , May Our Organs Resound » est un hommage musical, une œuvre commémorative qui explore les profondes blessures laissées par l'oppression à travers l'histoire. Cet album est une ode à tous ceux qui ont souffert en silence, en particulier les femmes, dont le corps a été instrumentalisé et sacrifié. Ma musique est attirée par le monde silencieux – ces histoires, ces vies et ces souffrances que l'histoire ignore ou efface. Anarcha Westcott fut l'une des nombreuses victimes de l'oppression et de l'esclavage qui ont jeté les bases du progrès occidental. Son histoire n'est pas une exception, mais le reflet d'un système plus vaste qui se nourrit de la souffrance des plus vulnérables. Et trop souvent, ce sont les femmes qui portent les cicatrices les plus profondes. Surtout aujourd'hui, alors que le monde semble retomber dans l'obscurantisme et la violence, il semble presque absurde d'en parler. C'est comme si nous étions bloqués dans une boucle, nous demandant si nous avons vraiment progressé. Quand la douleur personnelle rencontre l'histoire collective, le poids du silence est étouffant. Je ne prétends pas que la musique puisse changer quoi que ce soit. Mais parfois, faire du bruit semble être la seule chose qui reste à faire . »
Mütterlein interroge donc autant des sphères intimes que l’universel, le passé autant que le présent. Viscérale, sa musique n’en prend pas moins une certaine hauteur qui, loin d’être une manière de se détacher, est au contraire, un moyen de développer un point de vue englobant. Le chant est à cette image, d’abord il s’enfoncent au plus profond de la douleur dans ses parties les plus rugueuses puis bascule vers cette forme d’élévation lors des passages en voix claire.
L’album voit aussi la participation musicale de Dhen Sora sur les titres « Memorial One » et « Memorial Two ». Leur place dans « Amidst the Flames, May Our Organs Resound » n’est pas le fruit de hasard car Mütterlein a pris le soin de réfléchir à la construction de l’album en s’adaptant à la contrainte particulière qu’impose la version vinyle. Ainsi les deux compositions en questions viennent clore chacune des faces du disque à la singulières et articulées l’une à l’autre. Une démarche rare qui témoigne d'un réel souci du détail.
Sans coup férir Mütterlein offre donc avec ce nouvel album une musique profondément immersive où le fond fait corps avec la forme pour une œuvre qui peut prétendre au statut d’art total.
Tracklist :
01. Anarcha
02. Concrete Black
03. Wounded Grace
04. Memorial One
05. Division of Pain
06. Ivory Claws
07. Memorial Two
Disponible sur :
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