
Style : black metal
Label : Archaic Sound
Localisation : France
Sortie : 15 juin 2025
En juin dernier, le one man band Ars Moriendi sortait chez Archaic Sound son quatorzième album (en comptant les six démos des débuts) pour vingt quatre ans d’existence. Intitulé « Leur esprit marche dans les ténèbres », il succède à « Lorsque les cœurs s’assèchent » sorti en 2023 et montre que les années qui passent n’entament en rien la créativité de son auteur le Clermontois Arsonist.
Suivant Ars Moriendi depuis quelques années maintenant, je sais que quand sonne l’heure d’un nouvel album, je vais laisser de côté toute occupation annexe pour pouvoir pleinement l’écouter et prendre le temps de m’en imprégner. La musique que l’on pourrait qualifier de black atmosphérique progressif nécessite, autant qu’elle mérite, cette démarche quasi religieuse. Sans dénigrer qui ce soit, les albums de Ars Moriendi ne sont pas de ceux que l’on écoute coude à la portière ou en faisant autre chose en même temps. Cela demande de l’attention et pour le bougre de chroniqueur que je suis une application qui soit à peu près à la hauteur de la musique proposée ici.
Comme souvent aussi les albums de Ars Moriendi sont conséquents, une nouvelle fois celui-ci frôle l’heure et contient des compositions amples comme en témoigne le morceau éponyme de plus de dix minutes qui ouvre l’opus.
L’artwork sort de l’ordinaire que ce soit par les couleurs et le trait. Pour celui-ci Arsonist a, cette fois, fait appel à Christophe Goncalves, auteur inédit dans la sphère du musique. On notera aussi le soin apporté au livret du cd puisqu’en plus du lettrage de l’artwork, l’écriture des paroles a été confié à un calligraphe : Charles Boisart.
Avant d’en venir enfin au cœur de l’album, on notera la présence de quelques guests. « L’abbé de Monte-à-regret II » voit ainsi l’intervention de Julien Hovelaque d’un autre one man band très recommandable : L’éclat du déclin. Pour « Puisqu’elle est éternelle » c’est la compagne d’Arsonist qui pose sa voix comme elle avait déjà pu le faire sur d’autres réalisations par le passé.

Alors maintenant que dire du plus important c’est à dire le contenu de ce nouvel album ? Et bien on va dire que Arsonist ne change pas ses habitudes. Il y a des artistes dont on sent qu’ils ont lancé quelques coups d’œil à gauche à droite pour s’inspirer et créer, cela ne signifie pas pour autant le plagiat ou quoi que ce soit de cette ordre là, mais oui certains groupes sont plus poreux que d’autres à leur environnement et aux évolutions qui traversent la musique. Arsonist n’est pas de ceux là car il dispose en lui même de tous les matériaux qui vont lui permettre de créer ses propres œuvres. Cela vaut pour les thématiques de ses morceaux comme pour la musique. Si on s’attache aux thèmes parcourus dans « Leur esprit marche dans les ténèbres », on retrouvera ainsi une place importante pour l’histoire et la dimension culturelle en général. L’aspect historique peut rappeler des groupes comme Abduction ou Griffon mais Ars Moriendi l’utilise à sa manière comme un éclairage sur la noirceur indicible de l’humanité à travers les âges. L’histoire, c’est une composante importante pour ne pas dire fondamentale de la personnalité de Arsonist. Sans révéler un grand secret c’est une discipline à laquelle il est voué bien au-delà de la musique que ce soit par la rédaction de sa thèse il y a quelques années ou par l’enseignement. Dans cet album on retrouvera ainsi une évocation de la Saint Barthélémy dans le titre éponyme (et l’artwork). Le diptyque « L’abbé de Monte-à-regret » (surnom euphémique donné au lieu de supplice des condamné à mort) est lui consacré à la famille Sanson dont plusieurs générations ont officié comme bourreaux. En terme de nouveauté, Arsonist fait aussi une incursion dans une histoire plus contemporaine avec « Sur la lune ou aux enfers ». Cette composition qui commence sur l’air du poème géorgien « Souliko » mis en musique et interprété par les Chœurs de l’Armée Rouge. Peu à peu le chant s’éloigne couvert par le bruit des cellules qui s’ouvrent ou se ferment, par le vent, le bruit des pioches puis par quelques mots d’Alexandre Soljenitsyne. La chanson est est une évocation de l’univers du goulag mettant en exergue les éléments de ces terres lointaines de relégation et de mort : la glace, le feu, le fer et le sang.
Si l’histoire occupe donc une place prépondérante, elle n’en est pas le matériau exclusif comme en témoigne « Trouver la fontaine » qui se rapporte davantage à la légende, en l’occurrence celle la fontaine de jouvence. Une nouvelle fois donc Ars Moriendi battit un univers personnel, fruit de ses réflexions, et parvient à nous entraîner et à nous éclairer sur les sombres méandres qui coulent dans les veines l’humanité.
Musicalement, la richesse et l’abondance sont également de mise. Bien sur le black metal occupe une place importante dans la musique mais depuis plusieurs albums Arsonist élargit un peu plus encore le cercle pour y inclure différents éléments de son univers musical. « Lorsque les cœurs s’assèchent » en était déjà une belle illustration. « Leur esprit marche dans les ténèbres » chemine dans les mêmes pas. La guitare saturée m'a semblé plus agressive que sur l’album précédent ce qui apporte des contrastes plus saisissants encore avec les sections instrumentales plus douces faites de guitare acoustique ou de piano. L’instrumentation est aérée et on se laisse aussi bien porter par les guitares que par les lignes de basse et les divers arrangements. On retrouve un peu la même impression sur le chant qui semble parfois plus appuyé tout en côtoyant des parties en voix claire ou narratives désormais pleinement installées dans l’identité musicale de Ars Moriendi. Bien au-delà du black metal, on retrouvera au travers des mélodies et de la progressivité des morceaux des éléments qui rappellent l’affection que Arsonist porte pour le metal et le rock en général. Mais là encore cela va bien au-delà : en témoignent certains beats electroniques que l’on entend dans « Trouver la fontaine » et qui ramènent à quelque chose de plus cold wave. La chanson française n’est pas à exclure non plus comme l’illustre « Puisqu’elle est éternelle » toute en chant clair et en mélodie de piano avec un petit côté Jean Louis Murat dans la voix. En terme de richesse musicale, il y a donc de quoi faire avec un dernier point d’orgue : la reprise «The Reign of Chaos and Old Night » du groupe Elend qui vient clore ce disque. Elend, les plus jeunes ne connaîtront pas forcément (encore que) mais cette formation phare du label Holy Records a fait les beaux jours de la musique dark ambient des années 90. La reprise qu’en fait Arsonist est à la fois respectueuse de l’originale et personnelle. Quand bien même elle suit l’outro de l’album, elle fait figure de parfaite conclusion à cette marche dans les ténèbres que Arsonist conduit au travers des sept compositions précédentes.
« Leur esprit marche dans les ténèbres » constitue donc une fois encore un album d’une rare richesse. Ars Moriendi continue de faire partie de ces one man band pour lesquels on se demande comment une seul personne parvient à mettre tout cela en place que ce soit au niveau thématique ou musical. C’est assez bluffant pour tout dire et cela conforte l’idée que l’approche personnelle du black metal de Ars Moriendi a une place bien à part au sein d’une scène qui finit par ne plus être toujours très inspirée. Arsonist ne manque pas d’inspiration, lui, et ce nouvel opus en est une nouvelle illustration.
Tracklist :
1. Leur esprit marche dans les ténèbres (12:02)
2. L'abbé de Monte-à-Regret part.I (06:10)
3. L'abbé de Monte-à-Regret part.II (04:40)
4. Trouver la fontaine (10:00)
5. Puisqu'elle est éternelle (03:52)
6. Sur la lune ou aux enfers (08:32)
7. Outro (04:30)
8. The Reign of Chaos and Old Night (Elend cover) (05:36 )
Disponible sur :
https://archaic-sound.bandcamp.com/album/leur-esprit-marche-dans-les-t-n-bres
Ajouter un commentaire
Commentaires
Super chronique, très positive et fort bien rédigée ! Merci