
Style : black metal
Label : Les Acteurs de l’Ombre Productions
Localisation : France
Sortie : 16 février 2024
En à peine une dizaine d’années d’existence, Griffon est parvenu à imposer sa marque : celle d’un black metal acéré et mélodique abordant l’histoire avec un grand H. Bien sûr, le groupe parisien n’est pas le premier à embrasser l’épopée historique comme thématique centrale de sa musique… Mais bien peu, pour ne pas dire aucun, ne l’abordent de manière aussi globale.
On ne va pas refaire la chronique de « Ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς » sorti en 2020, mais j’avais déjà été impressionné par l’aisance avec laquelle Griffon parvenait à assembler des éléments historiques à priori très différents pour en faire un tableau musical cohérent ; tout cela en parvenant à y glisser quelques résonances contemporaines habiles sans jamais sombrer dans un militantisme qui sonnerait creux En bref, à l’annonce de ce troisième opus la curiosité et les attentes étaient grandes, très grandes même.
Première surprise, la pochette de l’album avec ce ciel bleu et cette scène révolutionnaire au pied de Notre Dame. Autant de motifs et de couleurs qui étaient pour le moins inhabituels au sein d’une scène black metal où les cathédrales sont plus volontiers en flammes et les cieux pourpres ou sombres.
Deuxième surprise, le titre “De Republica” qui s’inscrivait dans un champ historique et politique peu commun lui aussi. Dans le microcosme black, on était davantage habitué aux thématiques militaires, (anti)religieuses, médiévales… Mais l’histoire de la République et du peuple, voilà qui eétait beaucoup plus innovant. Et quand pour présenter son nouvel opus Griffon écrivait : « D’une part, l’album est une ode à la République, défendant l’État de droit, l’égalitarisme et la liberté, et d’autre part, une œuvre sacralisant la Révolution comme expression populaire de la lutte contre le despotisme et pour l’accès à la liberté. », clairement, quelques-uns avaient dû manquer de s’étouffer… Mais le meilleur était à venir.
En effet, troisième surprise et pas des moindres : le tout premier titre. Intitulée “L’homme du Tarn”. Cette chanson d’ouverture était consacrée à Jean Jaurès, figure historique du socialisme et du pacifisme français. Là encore du point de vue thématique, on ne devait pas être loin de l’inédit. Mais au-delà de son sujet, la chanson avait aussi de quoi marquer les esprits car elle avait l’allure de ce que l’on pourrait appeler un hymne. Puissante, mélodique avec des paroles tranchantes et un refrain marquant, “L’homme du Tarn” disposait de bien des atouts pour devenir un titre incontournable dans la set list de Griffon. Comme le groupe nous y avait déjà habitués, la composition était entrecoupée de respirations sous forme de citations de Jean Jaurès, on reconnaissait au passage la voix du conteur Quentin Foureau. En bref, c’était une entame d’album des plus mémorables.
Mais attention, ce premier titre n’était pas l’arbre qui cachait la forêt. Car les cinq autres compositions de cet opus étaient tout aussi qualitatives et nous emmenaient dans un voyage musical à travers le temps. “The Ides of March” nous faisait ainsi remonter à l’Antiquité, au crépuscule d’une République romaine déjà bien moribonde, lorsqu’un groupe de sénateurs avaient décidé d’assassiner Jules César qui s’était octroyé le titre de dictateur à vie tout en demeurant très aimé auprès du peuple. Pour la forme c’était l’unique morceau qui n’était pas chanté en Français.
Pour les morceaux suivants, la chronologie et la thématique se resserraient sur le XIXe et le début du XXe siècle avec pour protagoniste central le peuple français. Une nouvelle fois Griffon brillait pour saisir le sens des événements choisis et retranscrire en musique leur portée épique ou tragique. Dans “À l’insurrection”, cette forme de lyrisme permettait ainsi de ressentir toute la colère et la détermination du peuple de Paris à renverser le roi Charles X et son ministre Polignac. Cette colère, elle montait encore d’un cran dans “La semaine sanglante” consacrée à la Commune et à son tragique épilogue qui donnait son titre à la chanson.
Mais parce que le peuple, ce n’était pas que celui de Paris ou le peuple révolutionnaire, Griffon n’oubliait pas celui des campagnes qui, dans le sillage des lois de séparation des Églises et de l’Etat de 1905, protestait vigoureusement contre les inventaires des biens ecclésiastiques. Tout en exprimant la colère, “La loi de la Nation” résonnait aussi des accents nostalgiques d’une France révolue.
Ces accents plus pesants, on les retrouvait plus pleinement encore sur le morceau éponyme qui clôturait l’album. Ouvrant une petite porte sur l’actualité récente, Griffon retraçait en mots âpres la mise en place du pouvoir personnel d’un Napoléon Bonaparte se présentant comme le sauveur de la Révolution de 1789 tout en étant le fossoyeur de la République. Les mots étaient amers, la musique aussi, mais le titre portait aussi en lui cette rage d’un peuple prêt à prendre sa revanche tôt ou tard.
Foisonnant et maîtrisé dans sa musique comme dans ses propos, Griffon proposait avec ce troisième opus une œuvre qui, à n’en pas douter, était une des sorties marquantes de l’année 2024. Au travers d’un black metal foisonnant, le groupe parvenait à faire de l’histoire de ce peuple français un tableau vivant fait de multiples combats, de convictions, de contradictions, de victoires, de défaites, d’espoir ou d’accablement. “De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ” clamait Georges Danton. Assurément, Griffon n’en manquait pas et de talent non plus.
Tracklist :
1. L’Homme du Tarn (07:58)
2. The Ides of March (07:11)
3. A l’insurrection (04:54)
4. La semaine sanglante (04:24)
5. La loi de la Nation (05:56)
6. De Republica (06:28)
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